En amont
la nuit
Ils sont entrés dans le café du port
Maria a pressé le citron vert sur le poisson grillé
Elle a ri quand Vior a mangé les crevettes
sans les décortiquer
Elle a voulu
Elle n’a pas osé
Les yeux ou les pattes les antennes, peut-être
Elle n’a pas osé
Dans l’onomatopée des liturgies grivoises
Vior a scellé son regard à celui de Maria
Il s’est levé
Il a porté haut son verre
et dans la salle du vieux bistrot
les pêcheurs se sont levés
Ils ont porté haut leurs verres
D’un seul trait
comme eux
elle l’a vidé, Maria
Dans sa bouche incandescente
l’eau-de-vie a éperonné sa gorge jusqu’au porche
des larmes
À la croisée de l’ivresse et de la fable
le Grand Lisk a raconté
une fois encore
une fois de plus
Maria a tourné la tête vers la fenêtre
et quand Mathias a dessiné
sur la nappe de papier
le souvenir d’une méduse
elle a détourné les yeux du rempart de brume
là-bas
Vior a repoussé sa chaise
Maria a écrasé sa cigarette
Sur les notes souffletées du piano mal accordé
ils ont dansé
Ils ont quitté le café du port
En aval
la nuit
Jacqueline Tanner, « La Maryssée », La Maryssée, Lausanne, Éditions de l’Aire, 1984.